Mobiliser toutes les expertises pour accélérer le rebond

L’honneur sans mérite est un fardeau, la compétence reconnue est un bonheur (William de Britaine)

Nos entreprises connaîtront un redémarrage d’autant plus rapide qu’elles sauront mobiliser les meilleures expertises internes pour réaménager leur offre et se repositionner sur leur marché.
Renforcer leur résilience leur demandera d’identifier les compétences les plus critiques, sur lesquelles concentrer leurs investissements. En parallèle, elles devront démarrer un programme de reskilling pour préserver l’employabilité du plus grand nombre.
Et comme un expert peu engagé perd beaucoup de son influence, il faudra mobiliser toutes les expertises internes au service de la raison d’être de l’entreprise et de ses valeurs.

 

Les expertises, premier actif à préserver et à faire fructifier

La crise du COVID-19 a fragilisé nos entreprises et les a exposées à une concurrence exacerbée et à des réflexes de survie. Dans cette situation, nous devons pouvoir nous appuyer sur un actif précieux : notre portefeuille d’expertises.

Comment continuer à être compétitif si nos meilleurs spécialistes nous quittent ou s’ils maîtrisent mal les nouvelles technologies qui vont s’avérer cruciales pour innover, pour nous démarquer sur le marché ou même simplement pour nous y maintenir (pour éviter l’obsolescence de nos produits et services).

Parmi les ressources les plus stratégiques à mobiliser pour réussir notre Plan de Résilience à court terme et pour pérenniser notre capacité de développement à plus long terme, les expertises sont certainement les plus difficiles à acquérir et à maintenir.

Trouver des capitaux, des locaux, des machines s’avère souvent plus simple que de dénicher les perles rares qui sauront pleinement tirer parti de ces investissements techniques et logistiques.
Les talents, capables de faire la différence dans cette période de forte intensité concurrentielle sont rares. Ils sont convoités, sollicités et leur fidélité est mise à rude épreuve. Les conserver requiert de leur apporter de la considération et des garanties concernant l’approfondissement de leur expertise et leur évolution professionnelle.

 

Une ressource critique mais volatile

Malheureusement une compétence ne peut être considérée comme acquise à jamais. Comme une plante qui s’étiole sans arrosage, une compétence non pratiquée s’effrite avant de disparaître. Cet actif différenciateur requiert donc un investissement continu pour ne pas se dissiper ou devenir obsolète.

Le rythme de renouvellement des connaissances techniques et professionnelles est tel, aujourd’hui, que, sans recyclage, ces connaissances deviennent caduques au bout de quelques années.

Le portefeuille interne des expertises peut se déprécier de différentes façons : certains experts peuvent quitter l’entreprise, attirés par d’autres challenges plus excitants chez un concurrent ; certains seniors quittent l’entreprise sans avoir pu transmettre l’intégralité de leurs savoir-faire ; des experts avérés voient leur expertise se fragiliser faute d’avoir été sollicités ou faute d’avoir eu l’opportunité de les approfondir et de les actualiser.

Ces compétences rares deviennent critiques lorsqu’elles doivent être mobilisées soit pour maintenir une réelle excellence d’exécution dans des environnements chamboulés soit pour donner vie à des projets d’innovation stratégiques. Dans ces cas, l’expertise est orientée et mise au service de la performance économique.

 

Investir oui, mais sur quelles compétences

Considérant le caractère précaire de ces expertises, il convient de s’interroger régulièrement sur le choix de celles qui vont conditionner directement la réussite des nouvelles priorités stratégiques.

Les compétences utiles à la maîtrise de l’ensemble des emplois de l’entreprise sont tellement nombreuses qu’il est impossible d’investir uniformément pour développer chacune. Une sélection s’impose : toutes ces compétences n’ont pas le même impact sur la réussite d’un repositionnement stratégique, d’une diversification, d’un renforcement de sa compétitivité sur son cœur de métier, sur la transformation de son business model.

Celles à privilégier sont :

  • Les compétences stratégiques (c’est-à-dire celles qui conditionnent la performance des emplois / métiers sur lesquels se fondent les priorités stratégiques du moment et qui différent grandement si l’on a choisi une stratégie d’expansion, une stratégie de contention des coûts, une stratégie de repli et de redéploiement, …)
  • Les compétences différenciatrices, dans le but de renforcer les pôles d’expertise spécifiques à l’entreprise, celles qui lui donnent de la valeur sur le marché
  • Les compétences rares au sein de notre entreprise, d’autant plus fragiles que les détenteurs sont peu entourés et ont du mal à transmettre
  • Les compétences transverses qui facilitent les mobilités internes et les coopérations interdisciplinaires
  • Les compétences comportementales, les soft-skills, tant recherchées aujourd’hui, qui alimentent l’adaptabilité, la facilité de se mouvoir efficacement dans des environnements très évolutifs marqués par l’incertitude, la capacité à s’insérer dans un réseau, à créer et à utiliser des relations partenariales, …
  • Les compétences que réclament les grands projets de transformation (digitale, organisationnelle, managériale) : leur existence ou leur absence étant une des conditions sine qua non du succès de ces projets à forts enjeux et à budgets conséquents.
  • Les compétences nouvelles qui caractérisent les métiers émergeants. Pour cette catégorie, nous pourront certainement compter sur les réflexions prospectives conduites au titre de la GEPP. Une fois que les impacts des tendances sociétales et des nouvelles technologies ont fait émerger les nouvelles pratiques professionnelles et les métiers de demain, il est important de concrétiser ces bouleversements au travers des compétences nouvelles à promouvoir.

 

Le reskilling : une nécessité pour favoriser l’agilité et les redéploiements à venir

Les très nombreuses autres compétences doivent être maintenues, approfondies et même actualisées mais au travers des dispositifs mis en place pour préserver l’employabilité.

Dans la période que nous connaissons, cet effort va rapidement s’apparenter à du reskilling ou a minima à de l’upskilling : l’investissement doit pivoter vers l’acquisition de compétences nouvelles (permettant d’envisager plus sereinement des redéploiements assortis de changements de métier) ou vers l’approfondissement rapide des compétences existantes (parce que, dans les mêmes métiers, les exigences Clients ont changé, parce que la digitalisation impose de nouveaux savoir-faire, …).

En effet, cette crise du COVID-19 nous oblige à réviser certains fondamentaux :

  • Nous avions beaucoup investi sur l’efficience opérationnelle dans une économie tellement mondialisée qu’elle en est devenue hyper-dépendante et fragile. Nous allons devoir intégrer une nouvelle dimension : la résilience, la capacité à résister aux chics en réintégrant certaines activités vitales qui conditionnent notre autonomie de fonctionnement, notre souveraineté.
  • Nous vivions sous le règne de l’abondance et de la disponibilité de ressources aisément substituables. Nous prenons conscience de la rareté de certaines de ces ressources et particulièrement de nos Richesses Humaines, qu’il est plus facile de faire évoluer que de remplacer, surtout lorsqu’elles sont porteuses de compétences rares.
  • Nous nous étions habitués à des carrières linéaires construites au sein du même métier, de la même spécialité. Aujourd’hui, nous avons besoin d’agilité, de plasticité intellectuelle, de mobilité. Nous devons cultiver la complémentarité, la vision transverse, la capacité de coopération, la fiabilité et la capacité à assumer des relations de partenariat ;

C’est la raison pour laquelle nous devons revisiter les conditions de l’employabilité en engageant des chantiers de requalification.

Nous avons besoin d’anticiper l’impact des transformations en cours sur les conditions d’exercice des métiers afin de repérer les emplois les plus exposés et les collaborateurs qui doivent bénéficier en priorité d’un accompagnement, avant que leur employabilité se soit dégradée.

Une autre priorité s’impose à nous : réussir à instaurer un mix efficace entre salariés et travailleurs indépendants ou avec les salariés « multi-employeurs ». Ces nouvelles catégories nous incitent par ailleurs à définir des « packages fidélisants » destinés à des personnes pour lesquelles le sentiment d’appartenance et les liens de subordination sont plus ténus.

Enfin, cette requalification doit être individualisée. En évaluant pour chacun la nature et l’ampleur du différentiel à combler sur chaque compétence, il est possible d’alimenter les Plans de Développement Individuels et d’évaluer régulièrement l’efficacité de la requalification.

 

Avant d’évaluer, décrire

Progresser dans une compétence exige de savoir d’abord situer son niveau actuel de maîtrise. Évaluer objectivement requiert de disposer d’un point de repère explicite et accepté de tous.

Avant d’évaluer il convient donc de constituer son propre Référentiel des compétences, adapté à ses métiers, à son organisation, à ses pratiques managériales. Nous ne nous étendrons pas ici sur l’intérêt de constituer le Référentiel ni sur la méthode pour y parvenir.

Il nous semble cependant utile d’insister sur l’importance de documenter, de décrire brièvement les attendus professionnels correspondant à chaque niveau de maîtrise. Ces niveaux de maîtrise seront aisément associés ensuite à des niveaux de séniorité dans chaque emploi (quels savoir-faire ou comportements sont attendus de la part d’un junior, d’un professionnel confirmé ou d’un expert).

Même avec un Référentiel des Compétences, évaluer équitablement un niveau de compétences n’est pas simple. Il convient d’évaluer une compétence « en action », c’est-à-dire ce que cette capacité permet d’accomplir, au travers d’indicateurs-clés de maîtrise (des Key-Skills Indicators à l’image des KPI).

 

Quel mode d’acquisition, de transmission adopter

Le mode d’acquisition diffère bien entendu selon le type de compétences (connaissance, savoir-faire, aptitude). Mais, il existe des invariants. Ce que nous éprouvons nous-mêmes par l’expérience reste plus rapidement et profondément gravé en nous et nous semble plus facile à reproduire.

La transmission par mimétisme dans une relation de compagnonnage bienveillant et personnalisé peut grandement accélérer l’apprentissage.

D’une manière plus générale, la mise en situation, la transmission entre pairs ou par le truchement d’un mentor, d’un expert pédagogue semble plus efficace. Dans le cadre d’une professionnalisation « sur le poste », cette relation de proximité, avec son lot de feedbacks, a prouvé toute son efficacité même si elle implique une disponibilité et un investissement temps important.

Cette transmission traditionnelle gagne évidemment à être enrichie avec un approfondissement accessible au plus grand nombre grâce aux formations en ligne (MOOC, COOC ou SPOC), avec une implication dans des serious game, de la réalité augmentée qui aident à simuler les situations réelles auxquelles l’apprenant sera confronté, comme dans un simulateur.

Enfin, n’oublions pas l’intérêt des sessions d’échanges croisés de compétences qui permettent à la fois de décloisonner l’organisation, de favoriser les coopérations ultérieures et de valoriser les professionnels qui transmettent le fruit de leurs expériences.

Il est intéressant de voir ce que les neurosciences nous apprennent sur les conditions de développement de notre potentiel, de nos talents, de nos capacités. Ces sciences nous permettent de passer progressivement de la simple observation des comportements à une compréhension plus fine du fonctionnement du cerveau et des conditions qui favorisent ou défavorisent les apprentissages.

Par exemple, nous savons que nous sommes tous des êtres subjectifs, sous l’influence de nos émotions (y compris nos meilleurs experts). Les neurosciences nous ont aidé à comprendre que le stress altérait fortement nos comportements et nos capacités et qu’il était important pour un manager, soucieux de performance et de bien-être, d’éviter de susciter du stress dans ses équipes ou de transmettre le sien.

Ce que nous confirme aussi les neurosciences, c’est que la reconnaissance favorise l’apprentissage : la satisfaction au travail est en effet un besoin physiologique profond. Elle stimule la production de dopamine et agit directement sur notre épanouissement en milieu professionnel

Les neurosciences nous montrent enfin que nos aptitudes personnelles, nos talents qui constituent notre identité se révèlent et de développent (ou non) selon que l’on se situe dans un environnement plus ou moins favorable : comment sommes-nous intégrés dans un collectif ? Quelles collaborations entretenons-nous ? Quelle considération, quelle reconnaissance en tirons-nous ? Comment nous épanouissons-nous au cœur de ces interactions, propices ou non à notre développement ?

 

Faut-il instaurer une gestion différentiée des experts

Pourquoi s’intéresser spécifiquement à cette population : parce qu’elle est la seule à maîtriser des savoir-faire de pointe, longs à acquérir et difficiles de transmettre, des savoir-faire qui rendent une entreprise unique sur son marché pour peu que ces expertises soient entretenues et protégées.

L’enjeu est donc de taille mais accordons-nous sur un fait. D’abord, il existe différents niveaux d’experts et d’autre part, ce terme a été beaucoup galvaudé.

Un collaborateur peut être considéré comme expert au sein de son entreprise, comme expert national voire comme expert à l’échelle internationale. A l’évidence, son aura, son influence, la manière de gérer sa carrière et de piloter sa contribution interne ne sera pas la même.

De même, le terme expert est fréquemment utilisé pour désigner le(s) meilleur(s) spécialiste(s) de leur discipline ou d’une thématique donnée.

La première motivation d’un expert est de disposer des moyens lui permettant de continuer à approfondir et l’élargir son expertise et d’en tirer la juste reconnaissance. Connaissant la valeur qui leur est reconnue sur le marché, les experts sont prompts à envisager de nouvelles aventures si ces deux conditions ne sont pas remplies. D’où l’intérêt de les identifier, de constituer et d’animer des communautés par champ d’expertise, de les mettre à contribution pour relever les challenges technologiques en cours et de leur apporter la visibilité qui sied à leur statut.

Il convient par ailleurs de mettre en place des trajectoires de carrière spécifiques qui allient profondeur d’expertise et diversité / complémentarité des champs de compétence explorés. Ces cursus professionnels doivent permettre à un expert de développer les différents rôles que l’on attend de lui : études techniques, conseil, formation, animation de la communauté.

Enfin des processus spécifiques d’évaluation et de feedback entre pairs se substituent avantageusement aux entretiens annuels traditionnels en veillant à apprécier à la fois les expertises techniques …

… et les soft-skills qui permettront à un expert de rayonner à la fois au sein et en dehors de sa communauté d’origine et d’accentuer son pouvoir d’influence auprès des décideurs.

Cette souplesse de gestion accordée à ces collaborateurs au profil exceptionnel permet de mettre en place l’intervention d’experts freelance ou d’experts multi-employeurs (très utiles pour nouer ou développer des partenariats).

De même, le mécénat de compétences apparaît une solution bénéfique pour tous : chaque expert valorise ses compétences et que son entreprise y gagne en réputation et rehausse son image de marque, en unissant Expertises et Valeurs.

 

Des expertises et/ou des valeurs

Nous consacrons, à raison, des investissements importants au développement et à la valorisation des expertises. Mais la formule gagnante n’est-elle pas : Expertises + Valeurs, les expertises mises au service des valeurs, au service du sens de l’action quotidienne.

Dans cette période où domine l’incertitude, nous sommes tous en quête de sens. Nous avons tous besoin de boussoles au point que certains recruteurs privilégient clairement la compatibilité entre les valeurs personnelles et les valeurs de l’entreprise par rapport aux expertises.

Il est en effet parfois plus facile d’approfondir des expertises que d’aligner des valeurs.

En synthèse, dans cette quête à la valorisation optimale de nos portefeuilles d’expertises, les enjeux peuvent s’exprimer ainsi :

  • Mobiliser ses meilleures expertises pour actualiser ses offres et se démarquer de la concurrence.
  • S’appuyer sur ces compétences de pointe pour améliorer la qualité des prestations fournies et la qualité de l’Expérience Client.
  • Les experts attirant les experts, se servir de ses expertises internes pour être attractif sur le marché de l’emploi.
  • Repérer les compétences qui servent directement les nouvelles priorités stratégiques, et les approfondir chez chaque collaborateur.
  • Développer les compétences (techniques et méthodologiques) qui permettront d’intégrer plus rapidement les nouvelles technologies.
  • Développer l’employabilité de chaque collaborateur et veiller à son autonomie maximale.
  • Faire en sorte que chacun satisfasse au mieux les exigences de son emploi.
  • Renforcer le professionnalisme sur chaque emploi, source de qualité et de fidélisation.

Pour répondre à ces enjeux, une approche RH possible consiste à :

  • Actualiser les travaux de GEPP et ré-ancrer les compétences clés à développer sur les nouvelles priorités stratégiques
  • Pour chaque compétence-clé, expliciter les attendus professionnels à chaque niveau de maîtrise de cette compétence
  • Rationaliser l’évaluation du niveau de maîtrise des compétences requises sur chaque emploi
  • Structurer un Plan de Développement Individuel pour chaque collaborateur centré sur les compétences les plus critiques pour la maîtrise de son emploi
  • Organiser le transfert des compétences des plus expérimentés vers ceux en cours de professionnalisation
  • Constituer et animer des réseaux d’experts par spécialité, aptes à diversifier et approfondir les expertises existantes
  • Valoriser les meilleurs experts à la fois à l’intérieur de l’entreprise et à l’extérieur pour une pour les retenir et reconnaître leur apport
  • Mettre en place des opérations de transfert de compétences sur le poste et des mises en situation, en relais de la formation classique

Pour amplifier le rebond immédiat après l’interruption forcée que nous nous sommes infligés et pour renforcer notre capacité de résilience en prévision des prochains chocs, nous devons investir dans le développement de nos Richesses Humaines et des expertises dont ils sont porteurs.

 

Bernard MERCIER

EXPEHRIS

bernard.mercier@expehris.com

 

Si la vieillesse a pour elle l’expérience,
la jeunesse a mieux encore, elle a l’espérance (Cécile Fée)

 

Retrouvez ici notre démarche globale de renforcement de la résilience